L’arche de Centauri (titre provisoire)

C’était la première journée au travail de Clément aujourd’hui. Tout frais sorti de son école technique, avec l’allure d’un adolescent, l’âge d’un jeune adulte et l’ambition d’un sexagénaire. C’est-à-dire nulle.

Il avait donc décroché le poste de rêve. Pas le rêve de tous, mais le rêve de tout finissant du programme de “catégorisation d’astres”, un programme se concentrant exclusivement sur l’analyse d’images du ciel pour découvrir et nommer de nouvelles étoiles, planètes et météorites. Ou plutôt, pour apprendre comment utiliser les logiciels qui font maintenant tout pour vous.

Ce poste de rêve, c’était à la tête d’un ancien petit observatoire. À la tête, parce qu’il n’y avait qu’un seul employé. Au départ, il allait se faire aider par Ernest, l’ancien unique explorateur de l’espace (c’est comme cela qu’il s’auto-proclamait,) puis le remplacer à sa retraite qui, visiblement, approchait à grands pas.

Ernest pensait prendre sa retraite dans quelques années, depuis quelques décennies déjà. Il détestait son travail.

Arrivé pile à l’heure, Clément attendit son mentor trente deux minutes.

— Bonjour monsieur, c’est un honneur pour moi de travailler pour vous, se hâta de dire le jeune Clément à la vue de son nouveau collègue de travail.

Ne répondant pas, Ernest se contenta d’ouvrir la porte tranquillement. Clément était un peu déçu, mais fut enchanté par la suite, quand Ernest pris parole en ouvrant la porte, son visage s’illuminant:

— Bienvenue dans l’espace… (pause for effect) restreint de ton nouveau bureau.

Ce fut l’unique fois où Clément vit un sourire sur le visage d’Ernest, fier de son coup.

— Viens-tu vraiment de dire “pause for effect”?

Une autre réplique aurait peut-être changé leur relation, mais Clément venait de mettre, sans le savoir, le dernier clou dans le cercueil de leur nouvelle relation.

— Dans mon temps, les jeunes vouvoyaient leurs aînés.

— Mais je… je vous ai vouvoyé, vous ne m’avez pas répondu. Et avec cette réponse familière, je croyais que…

Voyant l’inefficacité de ses paroles, Clément décida de se taire et de suivre Ernest dans son nouveau bureau effectivement vraiment petit. Il avait été pensé pour une seule personne à la fois, alors Clément se contenta de rester debout, ne sachant quoi faire.

— Sage décision … de la fermer. Dans mon temps, les jeunes savaient mieux lécher les bottes aussi. Ça tombe bien, t’auras pas besoin de ça ici. C’est plate à mourir. On fait toujours la même chose. Catégoriser des taches de lumière sur un écran. C’est même pas les vraies étoiles, comme avant…

— Tu t’attendais à quoi? Répondit Clément, pensant que s’il tutoyait Ernest, il passait son test non-écrit.

— Je voulais découvrir de nouvelles étoiles, des planètes même. Je voulais éviter une catastrophe planétaire, en avertissant l’impact d’une météorite sur la Terre. Je voulais apprendre de nouvelles choses, élaborer de nouvelles théories. Mais tout ça … ça ne rapporte pas.

— C’est vrai… mais c’est grâce à notre travail que d’autres pourront en savoir plus sur l’univers. Nous sommes tout aussi importants que Galilée, ou Newton. Ils avaient besoin de données pour élaborer leurs théories. Qui sait ce qui se cache dans le futur proche de l’humanité?

Ernest regardait désormais Clément avec de l’amertume et une pointe d’envie. Il savait très bien que c’est ce genre de salades que l’école faisait vomir à des étudiants, mais savait pertinemment qu’il n’en était rien. Du moins pas de son vivant. Ernest, le regard dans le vide, se sentait maintenant nostalgique de l’époque où il était motivé par son travail, puis lorsqu’il monta son regard vers Clément qui était conscient d’avoir touché une corde sensible, une sirène d’alarme se fit entendre.

— Un exercice de feu, encore? Quand est-ce qu’ils vont comprendre que…

— Non! C’est ton jour de chance … tu vas pouvoir annoncer la fin du monde, coupa Clément, pointant l’écran de surveillance annonçant les trajectoires d’objets célestes qui se rapprochent de la Terre. Sortant tout droit de l’école, il savait de quoi il s’agissait, alors que Ernest l’avait oublié depuis longtemps.

D’abord surpris, puis méfiant, puis inquiet, Ernest observait l’écran.

— C’est impossible…

[À suivre…]